"La Morgan Gallery", extrait du livre autobiographique de Corno.
Dans son livre « Cornographie, Chroniques d’une peintre à New York », Corno raconte ses débuts aux Etats-Unis, de ses premiers pas à Boston jusqu’à son ascension New Yorkaise. Sur le ton de la confidence, avec humour et anecdotes, la peintre québécoise témoigne des épreuves et des joies de la vie d’artiste à travers le récit d’une carrière fascinante.
Dans cet extrait du premier chapitre de l’ouvrage Corno décrit sa toute première expérience aux Etats-Unis à la Morgan Gallery de Boston.
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Tout cela a commencé alors que ma sœur Line et moi, on vivait toutes les deux à Montréal. On sortait solide. Le bistro l’Express était l’un de nos lieux de prédilection : bonne bouffe, beaux gars, super service.
Assise au bar, sirotant un excellent vin, je reconnais à ma gauche un ami qui, à cette époque, tient une boutique de fringues très branchée juste à côté. Il m’informe qu’il vient d’ouvrir un autre commerce à Boston et déborde d’enthousiasme pour la ville. Comme il est très cute, il a toute mon attention. Le feu qui brille dans ses yeux n’est pas pour moi, mais quand même…
Lorsqu’il nous parle du milieu de l’art à Boston, je m’enflamme à mon tour. Il décrit la rue de Newbury, la niche ultrachic, spot parfait pour les boutiques et les galeries, et me conseille fortement d’aller y présenter mon portfolio. Line et moi, on s’endort donc ce soir-là en rêvant, par monts et merveilles ou plutôt par monts et Boston. Au réveil, on est vendues.
On planifie donc de faire notre petit voyage la fin de semaine suivante. On dit que la naïveté donne parfois des ailes ; dans notre cas, elle nous a donné des roues : celles de la petite Mazda rouillée de ma sœur. Les Etats-Unis sont une terre étrangère, c’est absolument exaltant. Je dois dire qu’à cette époque, je ne rêve pas encore de m’installer à New-York. Mais je suis partante pour n’importe quelle aventure.
On aurait surement pu attendre au printemps. C’est l’hiver, et même s’il fait très froid et que les routes sont terribles, on sent que le fer, lui, est chaud. Il faut le battre ! On débarque sans plus attendre.
On a un look d’esquimaudes ; deux filles directement sorties d’un igloo. C’est suit de ski-doo, toques de fourrure, mitaines en peau d’ours. Tout poil, mais pas du vison : de la vrai grosse bête ! Certainement pas le style qui convient à l’endroit huppé qu’on s’apprête à visiter… Hello, yes et no résument à peu près ce que l’on connaît de l’anglais, mais on est hyper motivées, et on commence à visiter Newbury avec l’innocence et la candeur de deux bonnes sœurs de… Chicoutimi.
En marchant tranquillement, on repère une galerie qui expose du Warhol, un de mes artistes préférés. Le vernissage a eu lieu la veille et Warhol lui-même y était. Je suis survoltée, j’adore les œuvres, j’adore la galerie. C’est MA galerie, c’est là que je veux montrer mon travail. « Naïve » n’est plus le bon mot…
Il y a un bureau à l’entrée de la galerie, et je m’introduis dans toute ma splendeur nordique avec mon anglais cassé. Mon portfolio fait « 4 x 8 », la dimension d’une photo standard. Ça tombe bien car c’est tout ce qu’il y a dedans : quelques photos de mes nouveaux tableaux, prises deux jours auparavant. Le gars me regarde des pieds à la tête, essayant probablement de discerner l’humain sous le scaphandre (poilu), et me dit qu’il ne prend pas de nouveaux artistes pour LES CINQ PROCHAINES ANNEES !
Quoi ?! Quand j’y repense, je la trouve tellement drôle et logique.
Mais pour moi, ça ne peut pas s’arrêter là. Alors j’y vais pour le coup de grâce. J’extirpe de ma fourrure mon portfolio et je le lui mets dans la face, si bien qu’il n’a vraiment pas le choix de le feuilleter. En vérité, je le feuillette pour lui, avec mes mitaines. Le silence qui suit est plus glacial que la tempête qui rugit à l’extérieur. Au bout d’un moment, il pose son regard sur moi et me demande simplement si je peux lui envoyer une toile originale. Mon anglais n’est peut-être pas fort, mais ça, ce sont des mots que je comprends. IL VEUT UNE TOILE ! Ça, j’en ai, des toiles ! J’en ai autant qu’il veut, Je vous aime aussi monsieur !
Ça a commencé comme ça et j’ai travaillé avec la Morgan Gallery pendant huit ans.
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Texte: Charles Giraud